« Les Samis contemporains habitent une vaste région qui s’étend de la moitié nord de la Norvège et de la Suède, passant par le nord de la Finlande, jusqu’à la péninsule de Kola en Russie. Tous ces territoires, qualifiés de « traditionnels » par les Samis du fait de leur présence historique sur ces terres, sont désignés aujourd’hui par le mot Sápmi. De nos jours, une partie significative de la population samie réside également à Oslo, Stockholm et Helsinki. Au cours de mes recherches ethnographiques dans le village sami de Jåhkåmåhkke situé « du côté suédois » et juste au-dessus du cercle polaire, mes hôtes de terrain ont attiré mon attention sur l’importance du territoire arctique et du vivant dans leur mode de vie. Le joik désigne une façon spécifique de chanter des personnes humaines ou non-humaines, d’exprimer des ressentis et de raconter des expériences. Les pratiques contemporaines de joik témoignent de la vivacité de la littérature orale samie dont les sources profondes de sens semblent sans cesse redécouvertes localement. Joiker permet aux Samis de se souvenir des ancêtres, d’accéder aux ressources originelles du passé, d’entrer en contact avec les êtres d’un lieu familier et d’affirmer une existence et une éthique ancrées dans le territoire arctique. » - Léopold Beyaert
Sápmi
Et la voix des ancêtres
La voix des ancêtres se laisse entendre par les signes du passé. Les anciennes huttes samies et les autres bâtiments et objets de « l’ancien mode de vie », le mode de vie nomade, sont conservés avec soin, mis en valeur et documentés dans les musées, dans les archives ou dans leur lieu d’origine. Le territoire, comme gardien de mémoire, source de subsistance et de vitalité et lieu de circulation et d’échanges entre êtres vivants, constitue la base de l’oralité et de la culture samie.
L. Beyaert, mars 2022.
L. Beyaert, février 2023
L. Beyaert, février 2023
Le joik
L’art de se souvenir et de communiquer avec le vivant
Le joik sami constitue avant tout une technique du souvenir et un moyen de communication avec le vivant qui se trouve autour et à l’intérieur de soi. Le joik permet aux Samis de se connecter avec des personnes, des animaux ou même des lieux. Cette mise en résonnance de deux êtres s’exprime par un chant de gorge composé d’une mélodie reprise en boucle et parfois de mots. Il peut s’accompagner de gestes, de mouvements corporels voir de cris, ouvrant une scène théâtrale dans laquelle est conviée l’audience. Le joikeur, plonge dans les replis de son intériorité pour exprimer un ressenti passé, raconter une histoire vécue et peindre un tableau sonore issu de sa perception. Il laisse les tonalités et les pulsations de son territoire surgir à travers lui et l’animer.
Juhán Niila Stålka qui joike et raconte des histoires au musée Ajjte de Jåhkåmåhkke
L. Beyaert, février 2023
Juhán Niila Stålka qui lors d’une performance de joiks, reprend des joiks ancrés dans la région et la tradition samie de Lule
L. Beyaert, février 2023
L’élevage de renneS
Un des piliers de la culture samie contemporaine
Peuple à l’origine de chasseurs-cueilleurs et pêcheurs, les Samis ont commencé à élever les rennes à partir du XVIIe siècle. De nos jours, d’après les estimations du Parlement sami de Suède, sur les 20.000 Samis qui vivent « du côté suédois de Sápmi », 4600 possèdent des rennes. Ces rennes sont dits « semi-domestiqués » car ils se déplacent à leur gré durant une grande partie de l’année entre les hautes montagnes et les forêts primaires. Ainsi, leur vie (migration, pâturage, reproduction, etc.) dépend directement des écosystèmes de l’Arctique d’où la tonalité écologique de l’activisme sami. Certains éleveurs préfèrent garder leurs rennes dans des enclos et les nourrir eux-mêmes pendant l’hiver pour s’assurer qu’ils survivent cette saison difficile. L’élevage de rennes, constitue un pilier de la culture samie contemporaine en perpétuant, en lien étroit avec d’autres activités coutumières, un mode de vie ancré dans le territoire et en relation avec les personnes humaines et non-humaines qui le peuplent, et en fournissant des ressources de base pour l’alimentation, l’artisanat sami, et le tourisme local.
Le marché d’hiver de Jåhkåmåhkke
Une mise en valeur de l’identité samie
Le marché d’hiver (márnána) de Jåhkåmåhkke est une festivité samie qui a lieu chaque année depuis au moins l’an 1605. A l’origine, les communautés samies nomades, en route vers les montagnes à la fin de l’hiver, s’installaient autour du lac Dálvvadis pendant deux à trois semaines et échangeaient des biens entre eux et également avec des marchands finnois. Ce marché se présente de nos jours comme une foire avec plusieurs centaines d’étals réparties dans les rues froides du village polaire durant la première semaine de février. Samis, population locale et touristes y sont les bienvenus et peuvent acheter, entre autres, de la viande de renne ou d’élan, des poissons de la région, des habits de fourrure. Ils peuvent aussi se rendre à des spectacles, concerts et débats de société. Pendant l’événement les Samis, par leurs vêtements, leurs bijoux et accessoires, présentent fièrement leur identité et groupe d’appartenance aux autres Samis et aux autres visiteurs. En se croisant sur le marché, les Samis peuvent identifier le territoire traditionnel, le métier ou la situation conjugale des uns et des autres. Ils se rencontrent, s’échangent des informations, se reconnaissent mutuellement et célèbrent ensemble leur identité autochtone dans ses expressions multiples et variées. Ainsi aux étals ou lors de spectacles, beaucoup de Samis portent le gábdde et affirment par-là leur origine ethnique et celle de leurs produits ou performances. Ils se réjouissent de pouvoir communiquer et transmettre leur appartenance culturelle, un droit qui, il y a quelques décennies, avait été mis à mal par les politiques d’assimilation forcée des pouvoirs coloniaux.
Étal de fourrure de rennes tannées au marché d’hiver de Jåhkåmåhkke
L. Beyaert, février 2023
Tentes festives au marché d’hiver de Jåhkåmåhkke.
L. Beyaert, février 2023
Exposition de gábdde de la haute école d’artisanat sami, Samernas utbuildingscentrum, pendant le marché d’hiver de Jåhkåmåhkke.
L. Beyaert, février 2023.
Le joik
Un moyen de protester contre la dépossession territoriale ?
Juhán Niila Stålka joike le conflit minier de Gállok.
L. Beyaert, octobre 2022
Quel rôle l’art joue-t-il dans les conflits socio-environnementaux en Suède et comment les artistes, en mobilisant le joik, parviennent à communiquer leurs aspirations en matière de territorialité ? Pourquoi des activistes samis ont joiké pendant le conflit d’Alta en 1970 ou plus récemment en février 2023 lors des protestations des jeunes samis dans le département norvégien du pétrole et de l’énergie? Avec le tournant identitaire de la fin des années 1960 à Sápmi, le joik commença à sortir de l’interdit dans lequel l’avait plongé la colonisation, pour jouer un rôle significatif dans ces luttes de reconnaissance. Dans un contexte protestataire, le joik désigne un peuple autochtone et minoritaire en Europe avec ses traditions orales, ses langues, ses pratiques coutumières et son lien vital avec le territoire ancestral. Le joik est devenu un véritable marqueur de différence culturelle et une manière d’affirmer un ancrage historique dans le territoire et des connaissances locales sur l’environnement et ses écosystèmes.
Traces du camp de résistance samie construit en 2013 sur le site du projet minier de Gállok.
L. Beyaert, octobre 2022
Juhán Niila Stålka explique à des jeunes suédois de WWF les effets d’un barrage hydroélectrique sur son territoire et sur la culture samie.
L. Beyaert, octobre 2022